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Reconstitution du contexte autour de photos virales d’ossements humains

Le 21 décembre 2024, des photos montrant une dizaine d’individus s’affairant autour d’amoncellements d’ossements humains ont été publiées par des pages influentes, telles que Damena (suivie par 8 000 personnes) et Aboaho Ankiaka (suivie par 70 000 personnes). Ces images, rapidement devenues virales, ont été massivement partagées dans des groupes de discussion à forte influence, comme VAOVAO MALAZA ERANTANY OFISIALY, VAOVAO Farany FILS D’INFOS ou NDAO HANDALINA POLITIKA AVO LENTA. Les réactions ont été nombreuses : si certains internautes se sont montrés choqués par la quantité d’ossements visibles, d’autres ont avancé des explications variées. Certains ont évoqué la pauvreté extrême, supposant que des communautés seraient contraintes de vendre les ossements de leurs ancêtres, tandis que d’autres ont évoqué une pratique liée à des traditions culturelles.

Traduction photo 1 : “L’une des pratiques malgaches qui se distingue est le soin apporté aux défunts, similaire au famadihana illustré sur cette image. Les ossements sont retirés de la tombe, nettoyés, puis placés dans le tombeau familial. Cette cérémonie est accompagnée de l’abattage de zébus et de festivités grandioses durant toute la durée de l’événement”.
Traduction photo 2 : “Qu’en pensez-vous ?” – Damena avait préalablement associé ces photos à la précarité des communautés concernées avant de réactualiser la description de l’image et de mentionner qu’il s’agissait d’une pratique culturelle.

Face à ces spéculations, l’équipe de What the Fact a mené une enquête en deux étapes pour lever toute ambiguïté sur l’origine et le contexte des photos.

La première étape a consisté à la vérification de l’authenticité des photos. Nous avons d’abord utilisé une recherche par image inversée pour vérifier si ces photos étaient des images préexistantes détournées. Pour la deuxième étape, nous avons sollicité des témoignages locaux et l’expertise d’un historien pour mieux comprendre le contexte des images.

Les premiers résultats de nos investigations révèlent que ces photos ont été initialement publiées le 20 décembre 2024 par Séraphin Ralaivelo Andriatsiferana, alias Ralay Velo, sur son compte Facebook. Dans une publication additionnelle datée du 21 décembre, il a précisé que ces images illustrent une coutume locale impliquant l’extraction et la réinhumation d’ossements provenant d’une grotte sépulcrale. Cette pratique, courante dans la région, s’accompagne généralement de festivités. Ce directeur du collège d’enseignement général d’Ambohimahatsara dans le district de Mananjary a été contacté par le quotidien L’Express de Madagascar, qui a publié un article à ce sujet le 23 décembre 2024. Il y décrit en détail cette tradition, pratiquée notamment dans le fokontany de Fiadanana, situé dans la commune d’Ambodinonoka, dans le district de Mananjary. L’exhumation des ossements, réalisée le 14 novembre 2024, avait pour but de transférer les restes mortels vers un nouvel ossuaire construit par les descendants. Selon ses précisions, les ossements sont extraits de la grotte, triés, et disposés dans un nouveau tombeau. Celui-ci est souvent divisé en deux chambres distinctes pour séparer les hommes et les femmes, conformément aux traditions locales. Ce processus s’accompagne de festivités culturelles : danses, repas communautaires, et abattage de bœufs en signe de respect envers les défunts. Ces célébrations reflètent l’importance spirituelle et culturelle accordée à ces rites dans cette région du Sud-Est malgache.

Traduction: “De nombreux commentaires ont été faits sur cette image, accompagnés de diverses questions. Je vais clarifier ici les faits, car cela se passe dans notre région, et c’est moi qui ai publié l’image. Avant tout, je vais d’abord expliquer la publication en question : “route sans déviation”. Cela signifie que tout être humain y passera un jour (par la mort), sans exception. Autrefois, dans cette région, les défunts étaient enterrés dans une grotte. Les descendants ont ensuite construit un nouveau tombeau. Lorsqu’une personne décède dans cette zone, elle est directement placée à l’intérieur, sans distinction, et les corps s’entassent. Ce que l’on voit sur l’image montre les ossements qui ont été extraits de la grotte. Certains peuvent trouver cela étrange ou choquant, mais ici, c’est une pratique coutumière. C’est à cet endroit que se déroulent les festivités, comme les danses accompagnées de battements de tambour et d’abattage de zébus. Une fois les ossements séchés, un discours solennel est prononcé, puis ils sont placés dans le nouveau tombeau. Ce que l’on voit sur cette image illustre précisément ce processus.”

Pour mieux comprendre le contexte culturel et confirmer qu’il s’agissait bien d’une pratique propre au sud-est de Madagascar, nous avons contacté Daoud Randriamahery, un habitant de Manakara, localité voisine de Mananjary. Selon lui, les photos publiées sur Facebook par Aboaho Ankiaka et Damena reflètent une tradition locale appelée le “dika vohitra”.« Il s’agit d’un rituel qui existe réellement chez nous, dans le Sud-Est, notamment dans des villages isolés autour de Manakara, » explique-t-il. Ce rituel est pratiqué pour deux raisons principales : lorsque le tombeau familial ne peut plus contenir les dépouilles accumulées au fil du temps ou lorsqu’un conflit familial nécessite un changement de tombeau. Il existe également des cas de “dika vohitra” populaire, organisé par des communautés entières. Il décrit les étapes du rituel : « Nous préparons d’abord le nouveau tombeau et effectuons le “didy kobory” (rituel préparatoire). Ensuite, nous sortons les dépouilles du tombeau commun, procédons à leur toilette, puis les plaçons soigneusement dans des sacs avant de les transférer dans le nouveau tombeau. » Ce processus, qui se déroule environ tous les sept ans selon une déclaration de l’ Ampanjaka (chef coutumier), est accompagné de festivités. « Comme pour le famadihana ou exhumation, le dika vohitra est suivi de célébrations auxquelles toutes les familles concernées participent. Cela permet d’éviter toute confusion sur l’identité des dépouilles, » ajoute-t-il. Le rituel est précédé d’une cérémonie appelée “fafy” (sacrifice), durant laquelle un bœuf est abattu pour chaque nouveau tombeau, ainsi qu’un autre pour les villageois venus assister à l’événement. La journée se termine dans une ambiance festive, marquée par des repas collectifs et des danses.

Légende : Le rituel est suivi de festivités auxquelles participent les membres de la famille des défunts, comme en témoigne le regroupement de personnes visible sur les photos, dont des enfants.

« Ces photos pourraient bien illustrer le rituel du dika vohitra », souligne également Raharison Tolojanahary Andry Rakotonaivo, historien spécialiste des us et coutumes malgaches qui nous apporte des précisions supplémentaires sur le dika vohitra. « Bien que l’histoire fixe le nombre d’ethnies malgaches à 18 depuis le XVIIIe ou le XIXe siècle, de nombreux clans plus petits et moins connus continuent de perpétuer des traditions locales. Le dika vohitra est un rituel spécifique au clan Zafimahavita, originaire des régions de Mananjary et de l’Est malgache, jusqu’à Imoron’Imania. En malagasy, dika signifie copier ou reproduire, et vohitra désigne un village. Ce rituel consiste donc à reproduire les pratiques du village. Il est organisé tous les cinq à six ans. Les morts sont considérés comme toujours présents parmi les vivants tant qu’ils reposent dans le tombeau familial. Habituellement, les dépouilles sont inhumées dans des grottes sépulcrales, orientées vers l’Ouest. Après six ou sept ans, lorsque la chair s’est décomposée, les os sont exhumés, retournés, puis réorientés vers l’Est, marquant ainsi leur passage au statut d’ancêtres », explique-t-il.

Les propos des différentes sources sont corroborés par le site anthropologieenligne.com, qui fournit des précisions dans un résumé du film documentaire « Zafimahavita : Funérailles dans le Sud-Est Malgache ». Selon ce site, tous les cinq ou six ans, le clan Zafimahavita organise le dika vohitra, un rituel de rénovation du tombeau familial qui coïncide avec la nouvelle lune du mois d’alakarabo, jour considéré comme propice aux grandes entreprises. Ce rituel ne se limite pas aux réparations physiques du tombeau. Il symbolise également le transfert des défunts récents (faty lena) de la partie Ouest du tombeau vers la partie Est, où reposent les ancêtres (razana maina). Ce transfert marque leur élévation au rang d’ancêtres. La cérémonie comprend une procession où les jeunes hommes transportent les dépouilles enfermées entre deux pirogues, tandis que les jeunes filles chantent : « C’est un homme qui rentre chez lui ! » Le terme vohitra symbolise à la fois une colline et un village, soulignant l’importance spirituelle de ce passage dans la destinée de chaque individu. Les corps sont ensuite disposés dans des caveaux selon des critères précis : âge, sexe et statut social. Les plus âgés sont placés au Sud, les plus jeunes au Nord. Des cloisons en bois, parfois remplacées lors du rituel, séparent les différentes catégories : vieilles femmes (tapi-drongo viavy), vieux messieurs (tati-drongo lehilahy), rois (mpanjaka), serviteurs (ampanompo), jeunes hommes (beminono) et jeunes filles (saramba).

Notre enquête confirme que les photos d’ossements humains publiés à la date du 21 décembre 2024 ne sont ni une preuve de profanation ni un acte lié à la pauvreté. Elles représentent une pratique culturelle ancestrale, “le dika vohitra”, un rituel funéraire profondément enraciné dans les traditions du clan Zafimahavita.

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