Le 8 janvier 2025, une page d’information à forte audience sur Facebook (plus de 250K followers) a partagé l’allégation selon laquelle des centaines de lémuriens ont été brûlés vifs lors de l’incendie du parc national de Ranomafana. Cette publication a suscité des centaines de réactions et a été largement relayée dans divers groupes de discussion, dont Vaovao Farany FIL D’INFOS, INO VAOVAO DIEGO, ou encore NDAO HANDALINA POLITIKA AVO LENTA. Cette annonce controversée survient alors que la réserve de Ranomafana, riche en espèces endémiques, est en proie à une incendie depuis le 4 janvier 2025. A l’heure où nous écrivons l’article (12 janvier 2025), Les feux ne sont pas encore éteints en totalité. La superficie incendiée est environ de 60 ha par rapport à la superficie totale qui mesure 41 601 ha. Cependant, toutes les forces vives locales regroupées auprès du Centre Régional de Coordination Opérationnel notamment les Forces de l’ordre, les Collectivités territoriales décentralisées (CTD) et Services techniques décentralisés (STD), les opérateurs économiques ainsi que les OSC sont tous mobilisés.
La viralité de cette information, qualifiée de “sensationaliste”, a poussé l’équipe de What the Fact à mener une enquête approfondie : La population de lémuriens dans la réserve atteint-elle des centaines ? Des centaines de lémuriens ont-ils réellement péri “vifs” dans l’incendie ? Pour vérifier ces allégations, nous avons contacté le ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD), Jonah Ratsimbazafy, Primatologue et Président du Groupe d’Étude et de Recherche sur les Primates de Madagascar (GERP), et collaboré avec Oliveno Sarelina, journaliste basé à Ifanadiana pour avoir la version des voix locales.
Selon les informations fournies par Andry Moïse Rasamoelina, Secrétaire général du MEDD, il semble peu probable que les pertes atteignent des centaines d’individus, notamment avec des foyers d’incendie limités et espacés. Sur la base des statistiques du centre de recherches Valbio, il informe que le parc national de Ranomafana abrite environ 51 338 lémuriens, répartis en 13 espèces différentes. Les zones touchées par les incendies se répartissent en plusieurs foyers dispersés, couvrant un maximum d’environ 50 hectares, avec des dimensions moyennes variant de 500 ares à 1 hectare par foyer. Cependant, ces foyers sont largement espacés, avec une distance moyenne de 2 km entre eux, ce qui permet de préserver de vastes zones forestières intactes pouvant servir de refuges aux lémuriens. D’après les précisions du responsable, parmi les espèces diurnes, seules trois Propithecus, deux espèces d’Eulemur et potentiellement Hapalemur ranomafanensis pourraient être présentes dans les zones touchées. Cependant, leur capacité à se déplacer réduit considérablement les risques d’être affectées par les incendies. Les espèces nocturnes, telles que Cheirogaleus, Lepilemur et Microcebus, sont davantage exposées, car elles nichent dans des cavités d’arbres. Néanmoins, Cheirogaleus construit désormais des nids en feuilles, ce qui augmente ses chances de survie. De même, les Microcebus rufus, qui vivent principalement en bordure de forêt, sont moins vulnérables. D’après les données actuelles, l’espèce la plus à risque serait Lepilemur, particulièrement si elle se trouve piégée dans un arbre creux. En l’état actuel des incendies, les informations disponibles ne soutiennent pas l’affirmation selon laquelle des centaines de lémuriens auraient péri dans le parc national de Ranomafana. Toutefois, il sensibilise que si les incendies ne sont pas rapidement maîtrisés, les risques pour les espèces vulnérables situées à proximité des foyers pourraient augmenter de manière significative.
Légende : Le parc national de Ranomafana abrite environ 51.338 individus de lémuriens, répartis en 13 espèces, dont 01 espèce endémique locale vulnérable, 04 en danger critique, 03 en danger et 05 vulnérables. Ces espèces incluent 05 vulnérables, 05 en danger, 2 en danger critique, 01 quasi-menacée. Liste des 13 espèces : dont: Hapalemur aureus, Hapalemur griseus, Prolemur simus, Eulemur rubriventer, Eulemur rufifrons, Varecia variegata, Propithecus edwardsi, Avahi peyrierasi, Lepilemur microdon, Daubentonia madagascariensis, Cheirogaleus sibreei, Cheirogaleus crossleyi, Microcebus rufus. (Source : Centre Valbio Ranomafana)
Selon Tolojanahary Velombolo Razafindrakoto, Président du VOI MITSINJO (communauté de base responsable des forêts) dans le fokontany Ambatolahy, Commune rurale de Ranomafana, les allégations selon lesquelles des centaines de lémuriens auraient péri dans les incendies sont infondées. Il affirme qu’aucun lémurien n’a été retrouvé mort dans les zones touchées par les feux. « Les lémuriens, lorsqu’ils perçoivent le danger des flammes, se déplacent vers d’autres zones plus sûres », précise-t-il. Selon lui, seuls de petits animaux terrestres, incapables de fuir, pourraient être affectés. À ce jour, aucune preuve de la mort de lémuriens n’a été observée.
Traduction de l’interview de Tolojanahary Velombolo Razafindrakoto, Président du VOI MITSINJO (communauté de base responsable des forêts) dans le fokontany Ambatolahy, commune rurale de Ranomafana : “Concernant la situation, un incendie est bien en cours, mais son origine reste inconnue. Cependant, d’après les observations faites sur place, il n’y a pas de “lémuriens” morts dans cet incendie. En effet, les lémuriens, naturellement, fuient dès qu’ils sentent la chaleur du feu, mais ils ne meurent pas ; ils se déplacent simplement. Il est possible que ce soient les petits animaux qui vivent au sol et qui ne peuvent pas s’échapper qui soient en danger. Toutefois, jusqu’à présent, aucune victime animale n’a été signalée. Le feu est toujours en train de brûler. Les habitants de la région et ceux de Ranomafana s’efforcent d’éteindre l’incendie depuis le début.” (Témoignage recueilli par Oliveno Sarelina)
Dieu Donald Rakotomalala, Chef de secteur du parc national de Ranomafana, dément également les informations circulant sur les réseaux sociaux selon lesquelles des centaines de lémuriens auraient péri dans les incendies. Il précise qu’aucun rapport sur le terrain, effectué au jour le jour par les équipes de gestion du parc en collaboration avec le centre Valbio et les partenaires impliqués dans la lutte contre les feux, n’a confirmé la mort de lémuriens. « Les chiffres avancés sur les réseaux sociaux sont erronés et ne correspondent pas à la réalité sur le terrain », affirme-t-il, soulignant que les seuls animaux potentiellement affectés par les incendies pourraient être de petits animaux terrestres comme des grenouilles ou des lézards, en raison de leur mobilité réduite.
Traduction de l’interview de Dieu Donald Rakotomalala, Chef de secteur Parc Ranomafana : “Sur les réseaux sociaux, des chiffres circulent concernant l’incendie. En tant que gestionnaires du parc national de Ranomafana, nous travaillons avec nos partenaires, notamment le centre Valbio, pour rassembler des informations chaque soir sur ce qui se passe sur le terrain : animaux morts, plantes brûlées, etc. D’après nos observations pendant les opérations d’extinction du feu, aucune preuve n’a confirmé qu’un grand nombre de lémuriens soient morts, contrairement aux informations qui circulent en ligne. Ces chiffres semblent être basés sur de fausses informations. Il est possible que des petits animaux, comme des grenouilles ou des serpents, aient été affectés, mais cela reste à confirmer. Si ces animaux se trouvent dans une zone en feu, il est possible qu’ils aient péri, mais nous n’avons pas encore de données fiables à ce sujet. Nous continuons de collecter des informations pour établir un bilan précis. Nous pouvons donc affirmer que les informations erronées diffusées en ligne ne correspondent pas à la réalité sur le terrain, car chaque soir, nous compilons les observations des équipes sur place.” (Témoignage recueilli par Oliveno Sarelina)
L’équipe de What The Fact a également contacté par téléphone le Professeur Jonah Ratsimbazafy, Primatologue et président du Groupe d’Étude et de Recherche sur les Primates de Madagascar (GERP), afin de mieux comprendre le comportement des lémuriens face aux incendies. Selon lui, il n’est pas exclu que certains lémuriens aient pu périr, mais il reste prudent, précisant qu’aucun chiffre exact ne peut être avancé sans un recensement rigoureux, une démarche qui nécessite du temps et des moyens. Le professeur a également exprimé des doutes sur la fiabilité des chiffres circulant en ligne, soulignant l’absence de preuves tangibles pour appuyer de telles affirmations. Il évoque la possibilité que ces chiffres sensationnalistes aient été diffusés dans le but de susciter de l’émotion ou de générer du buzz, ce qui soulève des questions sur la responsabilité des sources à l’origine de ces informations.
Notre conclusion
En l’absence de preuves tangibles et sur la base des témoignages recueillis auprès des acteurs locaux et des experts, les allégations affirmant que des centaines de lémuriens auraient péri dans les incendies du parc national de Ranomafana sont infondées.